Sogyal Rinpoché, en 2008
Sogyal
Rimpoché, né en 1947, est un lama de la
tradition Nvingma du bouddhisme tibétain. Il est notamment connu pour être
l'auteur du Livre tibétain de la vie et
la mort, paru dans 61 pays, qui présente de façon complète l'ensemble des
enseignements du bouddhisme tibétain. Sogyal Rinpoché a commencé à enseigner en
Occident il y a maintenant trente-sept
ans et voyage fréquemment à travers le monde pour donner des conférences
publiques et conduire des retraites d'étude et de pratique du bouddhisme
tibétain.
« Je me suis
aperçu qu’aujourd’hui, ceux qui s’engagent dans une voie spirituelle ne savent
pas toujours comment intégrer la pratique de la méditation dans leur vie quotidienne.
Je n’insisterai jamais assez sur ce point : la raison d’être, l’intérêt et le
but tout entier de la méditation sont d’intégrer celle-ci dans l’action. La
violence et les tensions, les défis et les distractions de la vie moderne
rendent cette intégration d’autant plus nécessaire.
Certaines
personnes se plaignent à moi en ces termes : «Je médite depuis douze ans et
pourtant rien n’a changé ; je suis resté le même. Pourquoi ? »
La raison est
qu’un abîme sépare leur pratique spirituelle de leur vie quotidienne, qui
semble exister dans deux mondes distincts sans aucunement s’inspirer l’une de
l’autre. Cela me rappelle un professeur que je connaissais lorsque j’étais à
l’école au Tibet. Il pouvait brillamment exposer les règles de la grammaire
tibétaine, mais savait à peine écrire une phrase correcte !
Comment donc
parvenir à cette intégration, que faire pour imprégner notre vie quotidienne de
l’humour tranquille et du détachement spacieux de la méditation ?
Rien ne peut
remplacer la pratique régulière. En effet, c’est seulement par une pratique
véritable que nous pourrons savourer sans interruption le calme de la nature de
notre esprit, et en prolonger l’expérience dans notre vie de tous les jours.
Je recommande à mes étudiants de ne
pas sortir trop vite d’une séance de méditation. Accordez-vous quelques minutes
pour que la paix née de la pratique s’infiltre dans votre vie. « Ne vous levez
pas d’un bond, ne partez pas trop vite, mais laissez votre vigilance s’intégrer
à votre vie. Soyez comme un homme qui souffre d’une fracture : il demeure
toujours attentif à ce que personne ne le heurte. »
Après la méditation, il est
important de ne pas céder à la tendance consistant à solidifier notre
perception du monde. Quand vous revenez à votre existence quotidienne,
permettez à la sagesse, à la vision profonde, à la compassion, à l’humour, à
l’aisance, à la largeur d’esprit et au détachement nés de la méditation
d’imprégner votre expérience.
La méditation éveille en vous la
réalisation de la nature illusoire et chimérique de toute chose. Un grand
maître disait : « Après la pratique de la méditation, on devrait devenir un
enfant de l’illusion.». Dudjom Rinpoché donnait le conseil suivant : « En un
sens, tout est illusoire et possède la nature du rêve. Pourtant, malgré tout,
continuez à agir avec humour.
Si vous marchez, par exemple,
dirigez-vous d’un cœur léger, sans raideur ni solennité inutile, vers le large
espace de la vérité.
Quand vous êtes assis, soyez la
citadelle de la vérité.
Quand vous mangez, remplissez le
ventre de la vacuité de vos négativités et de vos illusions ; laissez-les se
dissoudre dans l’espace qui pénètre tout.
Et quand vous allez aux toilettes,
considérez que tous vos obscurcissements et tous vos blocages sont par là-même
purifiés et éliminés. »
Ce n’est donc pas seulement la
pratique assise qui importe, mais bien plus, l’état d’esprit dans lequel vous vous
trouvez après la méditation.
C’est cet esprit calme et centré
qu’il vous faut prolonger dans chacune de vos actions.
J’aime cette histoire Zen où le disciple
demande à son maître : « Maître, comment appliquez-vous l’éveil à
l’action ? Comment le mettez-vous en pratique dans la vie de tous les jours ?
- En mangeant et en
dormant, répond le Maître
- Mais Maître, tout le
monde mange et tout le monde dort.
- Mais tous ne mangent pas
quand ils mangent et tous ne dorment pas quand ils dorment ! »
D’où le célèbre adage Zen :
« Quand je mange, je mange et quand je dors, je dors. »
Manger quand vous mangez et dormir
quand vous dormez signifie être totalement présent dans chacune de vos actions,
sans qu’aucune des distractions de l’égo ne vous éloigne de cette présence.
C’est cela l’intégration.
Et si vous souhaitez réellement
l’accomplir, vous ne pourrez vous contenter de considérer la pratique comme un
simple remède ou une thérapie occasionnelle ; elle devra devenir votre
nourriture quotidienne.
Voilà pourquoi il est excellent de
développer cette capacité d’intégration dans le cadre d’une retraite, loin des
tensions de la vie citadine moderne.
Les gens viennent trop souvent à la
méditation dans l’espoir d’obtenir des résultats extraordinaires, par exemple
des visions, des lumières ou des phénomènes miraculeux. Lorsque rien de tout
cela ne se produit, ils sont très déçus. Pourtant le véritable miracle de la
méditation est plus ordinaire et bien plus utile. C’est une transformation
subtile qui se produit non seulement dans votre esprit et dans vos émotions,
mais également dans votre corps.
La méditation possède un important
pouvoir de guérison. Savants et médecins ont découvert que, si vous êtes de
bonne humeur, les cellules même de votre corps sont plus « joyeuses ». Si par contre
votre état d’esprit est négatif, vos cellules peuvent devenir malignes. Votre
état de santé général dépend beaucoup de votre état d’esprit et de votre façon
d’être.
Et si vous trouvez difficile de
pratiquer la méditation chez vous, en ville, faites preuve d’imagination,
partez dans la nature. La nature est toujours une source d’inspiration
inépuisable.
Pour calmer votre esprit,
promenez-vous dans un parc à l’aube ou admirez la rosée posée sur la rose d’un
jardin. Allongez-vous sur le sol et contemplez le ciel. Laissez votre esprit se
perdre dans l’immensité. Que le ciel extérieur éveille le ciel intérieur de
votre être.
Debout près d’un ruisseau, laissez
votre esprit se mêler à la course de l’eau. Unissez-vous à son murmure
incessant. Asseyez-vous près d’une cascade et laissez son chant apaisant
purifier votre esprit. Marchez le long de la mer et laissez le vent du large
caresser votre visage. Asseyez-vous près d’un lac où dans un jardin et, tout en
respirant paisiblement, laissez le silence s’établir en vous tandis que la lune
monte, lentement et majestueusement, dans la nuit claire.
Tout peut devenir une invitation à
la méditation : un sourire, un visage aperçu dans le métro, la vue d’une petite
fleur poussant dans l’interstice d’un trottoir, une cascade d’étoffe chatoyante
dans une vitrine, un rayon de soleil illuminant des fleurs sur le bord d’une
fenêtre. Soyez à l’affût de chaque manifestation de beauté et de grâce. Offrez
chaque joie, soyez à tout moment attentif au « message émanant sans cesse du
silence».
Lentement, vous deviendrez maître de
votre propre félicité, alchimiste de votre propre joie, ayant toutes sortes de
remèdes à portée de main pour élever, égayer, éclairer et inspirer chacune de
vos respirations et chacun de vos mouvements.
Qu’est-ce qu’un grand pratiquant
spirituel ? C’est une personne qui vit constamment dans la présence de son être
véritable, qui a trouvé la source d’une inspiration profonde et s’y abreuve
continuellement ».
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